J+12 dans un monde sans Pape Diouf.
LE CHOC, titrait justement la Provence au lendemain d’un décès qui non seulement a plongé dans le deuil tout le peuple bleu et blanc, que l’on soit de Marseille ou non, mais qui a touché aussi ceux qui l’ont connu professionnellement, dans ses phases de journaliste, d’agent de joueurs, ou bien de président délégué de l’OM.
J+12 dans un monde sans Pape Diouf, parce qu’il ne sera plus là pour commenter les séquences pénibles récurrentes de la vie olympienne. Ses interventions nous orientaient souvent, à travers cette langue structurée, imagée, synthétique, et parfois piquante, qui nous remettait régulièrement dans l’axe, quand elles ne confirmaient pas, en les amplifiant, nos réflexions les plus sombres sur les choix du propriétaire américain de l’OM. Et surtout de son sous-fifre en chef. Je dis cela même s’il m’est arrivé, comme à tous ceux qui l’aimaient bien, de trouver qu’il s’auto-caricaturait parfois, que son ego lui jouait un mauvais tour en laissant passer un soupçon d’amertume dans certaines interventions.
Mais Pape nous manque déjà. Ne serait-ce que sur cette question de diminution du salaire des joueurs en pleine crise liée au Corona. Qu’aurait-il pensé ?
Nous fûmes nombreux à souhaiter qu’à la faveur d’un revirement courageux, Frank McCourt sifflât la fin de la récréation avec les subsides conséquents qu’il avait mis sur la table. Pour qu’il se tourne vers celui qui connaissait le mieux le monde du football à Marseille. Pape, avait beau faire mine d’indiquer qu’il n’y aurait pas répondu favorablement, j’ai l’intuition qu’il n’en aurait guère fallu pour qu’il accède à un appel à l’aide. J’avais tellement confiance en lui que, certains s’en souviennent peut-être, je terminais un billet dans un anglais de chez Lidl au propriétaire américain, par ce conseil : « I advise you to talk with Mr Pape Diouf and ask him to assure a transition for one or two years. He could put back in its place the club, on the right road, because he knows football and Marseille very well ». C’était il y a à peine un peu moins d’un an.
Grâce à lui, Marseille avait encore donné l’exemple de sa grandeur d’âme
Je le dis sans pudeur et sans honte, la mort de Pape m’a fait chialer. Je ne comptais pas au nombre de ses amis mais j’avais un profond respect pour l’homme et son parcours qui l’avait conduit à devenir le premier président noir d’un club européen. Grâce à lui, Marseille avait encore donné l’exemple de sa grandeur d’âme, de cette « cosmopolitanie » qui la rend différente de toutes les autres villes. Comme son club qui passe son histoire à tomber puis se relever avec rage.
Je n’étais pas l’ami de l’ex-président mais j’ai eu la chance de l’avoir un jour pour moi tout seul pendant près d’une heure et quart, dans les nuages. C’était au cours d’un vol entre Orly et Marignane.
Ayant remarqué sa grande carcasse en train de s’installer deux rangs devant moi, j’avais attendu que l’avion soit stabilisé derrière le décollage pour me glisser à sa hauteur. Après l’avoir respectueusement salué, je m’étais présenté, mon nom, mon titre de supporter, lui confiant aussi que je bloguais sur l’OM depuis quelques années. Voulait-il bien me donner son avis sur le club ? C’était la saison avant l’arrivée de Bielsa. Ou avant, encore. L’OM venait de s’incliner contre Monaco. Il avait accepté spontanément, me désignant le siège libre comme par miracle juste à côté de lui. Je le revois se masser le nez, fermer les yeux, prendre sa respiration avant de commencer à me parler quasiment sans interruption jusqu’à l’atterrissage. Je pense que n’importe quel supporter en train de lire ces lignes se mettra facilement à ma place. Je promets à tous que j’ai profité chaque seconde de ma chance. Le contexte nous mettait dans une grande proximité. Nos visages se faisaient face à moins de cinquante centimètres. Pape devançait toutes mes questions. Si je lui en avais posé deux, c’était vraiment le bout du monde. Il n’éluda rien. Il énonça des noms, des chiffres précis, me fit part tout aussi bien de ses surprises, de ses analyses, mais aussi de ses sentiments. C’est tellement vrai qu’il était fascinant quand sa machine intellectuelle et élocutoire se mettait en route. On a beaucoup évoqué son charisme, sa verve, ses formules, cette voix si particulière aussi, mais ce qui me frappa le plus fut la douceur de son regard, sa bonté et sa placidité. Il y avait une paisible lumière dans ses grands yeux noirs. On était vraiment bien en compagnie de Pape Diouf.
Quand l’avion a touché le sol et qu’il était temps de déboucler nos ceintures avant de regagner chacun nos pénates, j’avais déjà le sentiment du manque. Auparavant, sans que je le lui demande, il avait coupé un petit morceau d’un de ses journaux sur lequel il avait noté son mail tout d’abord, puis son numéro de téléphone, le signe pour moi qu’il avait également apprécié ma compagnie.
Je ne reviendrai pas sur tout ce qu’il me raconta, cela serait trop long. Je l’avais fait dans la nuit qui avait suivi, et publié dans mon blog sur Le Phocéen le lendemain matin. Par correction, je lui avais adressé le lien du billet dans un mail en le remerciant encore pour cette extraordinaire conversation, avec mes coordonnées. Dix minutes après, le téléphone sonnait et son numéro s’inscrivait sur mon écran… :
Entretien avant sa candidature officielle à la mairie de Marseille…
« Bonjour monsieur Audibert, je viens de prendre connaissance du compte-rendu de notre dialogue que vous avez publié, je vous appelle pour vous demander de le supprimer. Je ne pensais pas que vous retranscririez notre conversation, je ne vous ai pas vu prendre de notes, et je pense que vous savez très bien que si je veux faire des déclarations, je connais assez de monde auprès de qui les faire, or en ce moment je n’y tiens pas du tout… ». Je dois avouer que cette entrée en matière m’avait contrarié à mon tour. Avais-je travesti ses propos ? Il m’assura que non. Avait-il remarqué que j’avais évité de citer des noms et des chiffres pourtant entendus de sa voix qui auraient pu le mettre dans l’embarras ? Il répondit qu’il avait bien observé mes précautions, qu’il m’en remerciait, mais qu’il n’était pas homme non plus à ne pas assumer ses propos s’il le fallait. Il se montrait gêné que je ne l’ai pas prévenu que je rendrais compte de mon entretien, ce à quoi je lui rappelai aussitôt que je m’étais clairement présenté à lui comme un blogueur, et qu’il m’étonnait fort de n’avoir pas pressenti que je ne m’abstiendrais pas facilement du récit de notre rencontre. Mais avant même qu’il me le redemande une nouvelle fois, c’était décidé pour ma part, j’accèderais à sa demande. Bien que ne trouvant aucune raison objective de faire disparaître cette publication, je m’y résolus sans état d’âme. J’aurais voulu éclaircir le mystère de ce qui le gênait le plus. Il ne m’avait pas vraiment lâché de scoop, ou du moins, m’étais-je interdit de rapporter des éléments précis qui auraient pu le générer. Pris isolément, l’ensemble de ce qu’il m’avait confié avait pu être déjà proféré ici ou là. Il était allé parfois un peu plus loin dans notre conversation, et le tout regroupé aurait pu être repris par un média, encore aurait-il fallu que celui-ci me trouve, or même la rédaction du Phocéen, le site sur lequel je posais mes billets, ne semblait pas les lire. Je n’eus la véritable explication qu’une semaine plus tard en apprenant sa candidature aux élections municipales… Le secret avait été bien gardé, il ne m’en avait pas touché un mot. Je compris un peu mieux et n’en conçut aucune rancune. Il n’avait pas voulu courir le risque de se trouver au milieu d’une petite polémique polluante si quelqu’un de malveillant avait décidé d’amplifier ce que j’avais écrit.
Cette candidature à la mairie de Marseille, j’exprimerais seulement ma surprise au moment de la connaître, avec le sentiment qu’il n’avait pas suffisamment préparé le terrain pour se donner la moindre chance. Il partait de vraiment très loin, et je ne comprenais guère pourquoi il allait dans cette galère où il exista finalement si peu.
Le temps passa, inexorablement. J’eus plusieurs fois envie de décrocher mon téléphone pour composer son numéro, mais pour quoi faire ? Prendre de ses nouvelles ? Reprendre notre dialogue où nous l’avions laissé, lui proposer de poursuivre notre conversation sur la littérature, puisque nous avions commencé à parler de livres. Je me suis peut-être injustement pensé qu’il n’aurait sans doute pas le temps. D’ailleurs, en avais-je moi-même, alors que mon agenda ne me permet pas de voir mes amis autant que je le voudrais ? Peut-être n’aurait-il pas répondu ! Ou ne m’aurait-il pas rappelé après que je lui aie laissé un message. J’aurais voulu mieux le connaître pourtant. Trop tard.
S’il y a une chose que m’enseigne ce merdier de Covid-19 qui emporta le grand président que fût Pape Diouf, c’est qu’il faut bien plus prendre le temps du partage. Ne jamais tarder à déclarer une amitié ou à l’entretenir, avec qui que ce soit. Rien de plus important que nos relations avec les autres. J’ai même en ce moment de moins en moins envie d’être mordant avec ceux qui mériteraient pourtant un coup de dents.
L’envie de vivre et de rigoler va recommencer à Marseille, elle a déjà repris, mais personne ne pouvait imaginer que Pape Diouf, en partant si brusquement, nous laisserait une telle désagréable sensation de vide. Cela donne une idée de la consistance du personnage, tous les hommages qu’il a reçu pour la postérité l’ont confirmé.
De Dakar à Marseille, du jeune étudiant sans fortune à la présidence de l’OM, cet homme a courageusement traversé les mondes, animé par une saine volonté. Comment oublierais-je, moi simple supporter, qu’il me fût donné pendant quelques instants, la possibilité de traverser les nuages avec lui. Je forme le mot… nuages, et voilà qu’ils m’apparaissent, magie de l’écriture. Je m’empresse d’utiliser leur pouvoir conducteur pour lui dire au-revoir et merci. C’est à Dakar que repose désormais sa sépulture, il reste à jamais dans nos cœurs, lesquels sont nos plus beaux cimetières. Tout mon soutien à ses proches.
Vive le nom du grand Pape Diouf.
Thierry B Audibert
@TBAudibert