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Stade de La Pomme, Marseille, un dimanche après-midi qui ressemble à tant d’autres.
Sur le terrain, les U16 d’Air Bel bataillent avec les voisins istréens. Près du grillage, il est impossible de rater l’impeccable chemise blanche à manches courtes de ce mec autour de la trentaine sortant clairement du lot. Lunettes de soleil, grosse montre au poignet, il accompagne un jeune blessé. Visiblement, un client. Visiblement, un mineur. Et visiblement, un de ses clients mineurs. « Je t’avais dit que je serai là ou pas ? J’ai pris le train pour redescendre, j’étais à Paris hier… »
Rien d’illégal, rien d’anormal non plus à voir ce genre de charmeurs rodés autour de talents pas encore majeurs. Mais des « pas encore majeurs » parmi les meilleurs de la région donc potentiellement de gros contrats. Au moins, le jeune semble cette fois-ci être accompagné par un membre majeur de sa famille. Ce n’est pas toujours le cas avec d’autres intermédiaires.
Allez, c’est lui qui invite les cafés à la buvette du stade !
Des clubs amateurs inquiets…
À la buvette justement, Chaïb Draoui, président du club qui ne compte pas ses heures, n’est absolument pas surpris par cette situation. Mais est-ce profitable pour sa structure, qui comme tant d’autres en France, s’échine à fournir des perspectives à des milliers de jeunes ? « J’ai envie de vous dire les seuls acteurs qui ne profitent pas du business des jeunes joueurs, ce sont les clubs amateurs. De temps en temps, on reçoit une prime lorsqu’un de nos petits signe pro mais c’est tout. Ça nous fait du bien, hein ? Parce que nos budgets sont souvent serrés et ne serait-ce que la location d’un minibus pour aller à Lyon, il faut la payer. Mais avec ou sans agent, la loi veut que l’on ait cette prime. »
Et oui, la séduction doit se faire normalement auprès de la famille, même si elle se fait parfois directement auprès du jeune, laissant les clubs amateurs la majorité du temps loin des mirobolantes primes à la signature. Facteur trop souvent oublié au moment de juger les partenariats noués récemment par l’OM avec ces clubs. Ils peuvent influencer mais le dernier mot reviendra toujours à la famille. Ou à l’agent ou à l’intermédiaire ayant acquis la confiance de la dite famille.
Dans le podcast « Prolongation » de Johann Crochet, Serge Obré, directeur sportif du Burel, autre club important chez les jeunes à Marseille, rajoutait une couche d’alarmisme à la situation. « L’étape suivante au football, c’est le grand banditisme ! C’est quelque chose de fou ce que je suis en train de vous dire mais à Marseille, dans la région parisienne, lyonnaise, l’étape suivante, c’est le grand banditisme parce qu’indirectement, il y a de l’argent à faire sur des jeunes talentueux, des transferts obscurs. Les machines à sous ne sont plus dans les bars, les prostitués, il y en a de moins en moins mais là où il y a des sous, il y a toujours des voyous qui viennent. »
Ok, ok, il ne va pas un peu trop loin là, Serge Obré ?
Des parents catastrophés…
François*, père de famille d’un jeune joueur de la région, hors-Marseille, livre son ressenti sur le monde qu’il a découvert au fur et à mesure des étapes franchies par son fils : « C’est un monde de dingues, de menteurs, de voleurs, d’escrocs. Les agents ? Mon fils, à partir de ses 12, 13 ans, lorsqu’il a intégré la liste du Pôle Espoirs Méditerranée, ça a été comme des cafards qui vous sautent dessus à chaque fin de match. Ils me laissaient leurs cartes, se présentant la majorité du temps comme agents. Je vous avoue que je n’ai pas forcément été voir s’ils étaient tous licenciés… Et encore en Ligue Méditerranée, il est arrivé que certains agents aillent directement le voir, lui. Je me souviens d’un match à Aix où il y avait deux costards cravates qui à la fin du match sont partis directement le voir, l’ont interpellé en lui disant qu’il voulait le prendre. Et lorsqu’il leur a répondu qu’ils devaient voir ça avec moi, son père, ils lui ont clairement fait comprendre « nous on veut signer avec toi, pas avec ton père.»»
Ce qui est très limite niveau légal sans parler des soucis de morale que cela pose…
Le plaisir du jeu, les valeurs inculquées par le sport, la compétition saine, tout cela est remis en cause par l’irruption brutale du business décomplexé… autour de gamins entre 12 et 17 ans ! Le problème c’est que tout le monde s’y est habitué.* Ici, ça parle de chantage d’agent à un coach pour qu’il fasse jouer titulaires « ses » trois autres clients sous peine de retirer sa star du club, là, de dépressions chez des ados liées à l’éviction sans raison du onze de départ sans oublier les rumeurs persistantes de primes en cash, à moitié légales, directement versés par des intermédiaires à des parents.
Autre situation vécue par François et son fils, l’utilisation de ce dernier par un ancien pro pour se mettre en valeur, réseauter et pourquoi pas gratter un petit billet. « Au départ, on avait pris comme agent un ancien pro de Ligue 1. Je l’avais sollicité moi-même, j’avais confiance dans son passé mais… Déjà chaque déplacement dans la région, je devais le dédommager à hauteur de 150€, des fois 300€. En liquide, bien sûr. Un jour, il me dit avoir trouvé un essai à Sochaux mais que du coup, il a besoin de 1200€ en liquide. Bon, très bien, je lui donne. Mon fils arrive là-bas à Sochaux, il se rend compte qu’en fait, c’était une journée portes ouvertes. Bon… Par contre là-bas, l’ancien pro avait loué une Audi RS à mes frais. Il avait fait des bons restos, rencontré du monde. Lorsque l’on a changé d’agent pour prendre quelqu’un de moins prestigieux mais qui lui, a réussi à faire rentrer mon fils en centre de formation, l’ancien pro en est quand venu à dire à tout le monde que c’était grâce à lui. C’est incroyable ! »
L’entrée en centre de formation pro signe t-il la fin du bordel et le retour au jeu ?
Absolument pas, bien au contraire.
Des clubs pros dans la concurrence acharnée…
C’est Pablo Longoria qui le disait encore cet été lors du Liga MX Summit : « Pour moi, il y a d’abord le scouting de l’activité de base, j’appelle l’activité de base, le foot de moins de 14 ans. Pour moi la stratégie du scouting dès les catégories jeunes, c’est de connaître, de dominer ton territoire et ta ville. Comprendre où sont les talents. (…) Ensuite là où je dépense le plus dans tous les clubs où j’ai travaillé, c’est dans la détection du maximum d’internationaux entre 15 et 20 ans. » Il a trop longtemps été reproché à l’OM de ne pas être bon sur ce plan pour s’offusquer de ces déclarations dans l’air du temps. Cependant, le club marseillais n’est pas le seul pro sur place à vouloir charmer les talents ne serait-ce que locaux. Cela créé forcément de la tension entre clubs pros mais aussi des stratégies de drague et donc un terrain potentiellement propice aux intermédiaires et à l’appât du gain.
D’ailleurs, avant même l’arrivée de Pablo Longoria, c’est cette volonté de très vite verrouiller les talents dans son centre de formation qui avait engendré des tensions entre le Burel, par exemple, et l’OM dans le cadre du fameux projet « OM Next Generation. » Dès janvier 2020, Serge Obré nous en parlait sur Football Club de Marseille : « Désormais, théoriquement, ils ne peuvent pas récupérer un de nos joueurs avant l’âge de 14 ans. Avant, ils n’hésitaient pas à recruter les petits quand ils avaient 7-8 ans, en nous contournant, en passant par les parents. On a réussi, plus ou moins, à enrayer ce phénomène. Plus ou moins car il y a eu quelques manques de leur part. Pour l’instant, en trois ans de partenariat, ils n’ont récupéré aucun garçon de 14 ans. Mais ils ont récupéré, quatre ou cinq gamins d’âge en dessous, contrairement à ce qui était convenu. Ça s’est fait de façon un peu sournoise. Et ils le savent. » Quelques mois plus tard, le club amateur annoncera la non reconduction de son accord avec le club pro en partie à cause de cela.
Les belles idées collaboratives ne résistent pas longtemps aux lois du marché…
Sans oublier qu’à l’intérieur même des centres pros, les intrigues ne s’arrêtent pas.
Dans ce centre de la région, on évoque un nouveau directeur voulant ramener ses propres joueurs au détriment de ceux déjà présents, dans celui-ci, on appellerait d’autres clubs pour s’assurer que le rejeté de la maison ne trouve pas de points de chute à la fin de son contrat aspirant ou encore plus au nord, un appartement que la structure pro avait promis de payer finalement à la charge des parents.
Autant dire que, même en centre de formation, les obstacles se dressant sur la route de la signature au premier contrat pro sont nombreux et pas toujours dépendants du sportif.
Les intermédiaires douteux, l’appât du gain, les sacrifices à faire par les parents ou encore les intrigues au sein des clubs pros sont autant de facteurs à prendre en compte lorsqu’un jeune joueur est jugé sur la voie publique. La médiatisation grandissante autour de ces « pépites à zéro minute en pro » n’arrange en effet rien à l’affaire ni du côté de la protection psychologique de l’adolescent et encore moins en ce qui concerne l’attraction qu’il exerce auprès de personnages avant tout financièrement intéressés.
Il y a tout un système à revoir, toute une tranche d’âge à protéger et à accompagner.
L’OM, avec Pablo Longoria, David Friio et Nasser Larguet, est bien présent dans ce marché, condition indispensable au développement de sa formation et post-formation. Le club olympien ne semble ni plus ni moins vertueux que ses concurrents, il pâtit cependant encore auprès des parents du manque de temps de jeu en professionnel d’éléments sortis du centre de formation. Sa réputation s’est tout de même nettement amélioré ces dernières années même si elle reste encore assez éloignée des louanges souvent tressés envers un club comme Montpellier dans la région…
- * Prénom changé à la demande du père de famille afin de ne pas causer de problèmes à son fils.
- * Il faut aussi dire que c’est encore pire au niveau international…