CHRONIQUE – CARTE BLANCHE POUR MATT
Chaque mardi, Matthieu Franceschi, l’un des supporters olympiens les plus influents de ces dernières saisons, a carte blanche. Cette semaine, l’ex porte-parole des South Winners parle de la passivité de l’OM face à la répression que subissent leurs supporters et de la loi Larrivé qui a été adoptée à l’unanimité au Parlement…
Lors de l’exercice 2014/2015, j’ai pu assister aux 40 matches officiels de l’Olympique de Marseille en virage et en parcage visiteurs. Hormis les «Ultras Marseille » qui avaient refusé de faire certains déplacements aux conditions strictes et les « Fanatics » qui boycottent par tradition la Coupe de la Ligue, les groupes de supporters olympiens avaient donc pu suivre leur club la saison complète. Un miracle quand on sait que ces dernières saisons, les fans olympiens, comme la majorité des groupes de supporters en France, sont touchés par une politique répressive. 2014/2015, une époque si lointaine…
2015/2016 : Augmentation des interdictions
Avec l’approche de l’Euro 2016, la répression est rentrée dans un autre dimension. Les supporters phocéens sont passés du « Grand Chelem » à la pire saison de leur histoire en terme d’interdictions, au Vélodrome comme en déplacement.
À ce jour, les marseillais ont loupé 10 déplacements en France :
– 1 boycott volontaire des groupes (PSG)
– 2 interdictions suite à l’état d’urgence (St Etienne, Rennes)
– 7 interdictions administratives (Bourg-en-Bresse, Bordeaux, Nice, Gazelec, Bastia, Monaco, Angers)
Au Vélodrome, les huis clos partiels ont fleuri toute la saison :
– 5 pour les « Yankee » (Caen, Troyes, Angers, Nantes, Reims)
– 4 pour les « Ultras Marseille », les « South Winners », le « CCS », le « CAOM » (Angers, Lorient, Nantes, Reims)
– 3 pour les « MTP », les « Dodgers », les « Fanatics » (Angers, Nantes, Reims)
La passivité de l’OM
En apparence, le club a souvent défendu la cause des supporters. Mais cette année, la donne a sensiblement changé. J’ai trouvé le club très passif sur de nombreuses interdictions de déplacement et sur certaines sanctions. Par exemple, l’OM s’est surtout battu pour ne pas avoir de huis clos total pour les incidents de Lyon alors que des projectiles venaient également des tribunes latérales. Le club a profité de l’appui des pouvoirs publics et de la LFP pour récupérer la gestion des abonnements. Petit service entre amis puisqu’il n’y a aucun rapport entre incidents et gestion des abonnements. Dans le futur, en cas de nouveaux problèmes, il sera toujours impossible d’identifier un supporter en fonction du siège occupé puisque le placement est aléatoire dans les virages.
Mais c’est surtout en cette fin de saison que le club a cessé de totalement défendre les supporters et bien évidemment cela correspond au début de la révolte des virages contre les dirigeants olympiens. Les deux derniers huis clos sont extrêmement sévères. Je trouve que c’est l’intervention très rapide des CRS sur la pelouse face à Bordeaux qui a mis le feu aux poudres. Et que dire du gazage des supporters en bas du virage ? Incompétence des forces de l’ordre ou tout simplement provocation volontaire pour ensuite appliquer des sanctions ?
Inutile de vous rappeler que Vincent Labrune, le principal visé par les chants anti-direction dans le stade, est vice-président de la LFP. Inutile de vous dire que voir les virages vides est une excellente nouvelle pour son image. Inutile de vous dire que la LFP a, avant tout, œuvré pour le bien de son frère Vincent…
L’interdiction de déplacement à Angers a aussi donné lieu à d’étranges coïncidences. Le club a toujours indiqué aux groupes de supporters que le déplacement était interdit. Pourtant aucune interdiction officielle n’était tombée avant que La Provence ne se penche sur le sujet et mette un coup de pied dans la fourmilière. Nous avons pu nous rendre compte que le club n’avait rien fait pour défendre l’intérêt de ses supporters. Le club lui-même annonce, dans un communiqué lunaire ridiculisant un peu plus l’institution OM : « L’OM n’a participé ni de près ni de loin aux prises de décision des représentants de l’Etat et de la LFP ».
En se montrant volontairement passif face aux sanctions, Vincent Labrune prend un énorme risque, celui de se faire humilier au Stade de France le 21 mai prochain, lors de la cérémonie officielle d’avant-match, par des chants qui ne devraient pas manquer de lui rendre l’hommage qu’il mérite !
S’il ne fait aucun doute que le peuple marseillais sera derrière son équipe pour essayer de vaincre le PSG, les plus fidèles supporters ne devraient pas avoir la mémoire courte concernant le bilan et les manœuvres de l’orléanais à leur encontre.
Le président olympien sait très bien qu’il a avec lui ses amis de la LFP et les pouvoirs publics dans sa lutte contre les virages. La finale face au PSG est la finale de tous les dangers pour les associations de supporters. Au moindre incident, les sanctions seront radicales à quelques jours du début de l’Euro. Il ne faudra surtout pas tomber dans diverses provocations qui peuvent intervenir tout au long du déplacement…
L’opacité de la DNLH et de la LFP
La cas olympien n’est évidemment pas une exception. La répression dans les stades est nationale. La DNLH (Division nationale de lutte contre le hooliganisme) et la LFP essaient de faire avaler à l’opinion publique, pour justifier leur politique, que le risque de violence s’est accru dans les stades, en prenant comme référence l’augmentation des IDS (interdictions de stade) sans en préciser la nature.
Pour masquer leurs mensonges, la DNLH, dirigée par le commissaire Antoine Boutonnet, et la LFP refusent évidemment de publier leurs rapports annuels.
Que faut-il cacher ?
Que la violence dans les stades ne représente qu’un infime pourcentage ?
Que l’essentiel des IDS est dû à l’utilisation d’engins pyrotechniques ?
Que les sanctions sont prises arbitrairement ?
Que certaines démarches sont de graves entorses aux libertés fondamentales de notre pays ?
La loi Larrivé, la lutte contre le hooliganisme
Ce jeudi 28 avril 2016, sans grande surprise, dans l’indifférence la plus totale, le Parlement a définitivement adopté, à l’unanimité, la proposition de loi sur la lutte contre le hooliganisme. Grâce à la pression et au travail de l’ANS (Association Nationale des Supporters), qui regroupe une quarantaine d’associations majoritairement ultras (aucun groupe marseillais malheureusement), la version initiale du député Guillaume Larrivé, proposée le 27 janvier 2016, a pu être légèrement améliorée.
C’est au niveau du dialogue entre les associations, les clubs et les instances du football français que l’avancée a eu lieu. Encore faudra-t-il que tout cela soit appliqué sur le terrain. Chaque club professionnel doit nommer un référent chargé d’assurer des échanges avec ses associations de supporters, une exigence de longue date de l’UEFA.
Cette avancée est minime face à la gravité du texte de loi. Tout d’abord, la durée maximale de l’interdiction administrative de stade pourra passer de 12 à 24 mois et de 24 à 36 mois en cas de récidive. Mais c’est le cœur de la loi qui est un véritable scandale…
Le texte donne en effet la possibilité aux clubs de refuser la vente de billets, donc l’accès, à certains supporters qui ne sont pas IDS administrativement et qu’ils pourront ficher informatiquement. Cette loi a été surtout faite pour que le PSG soit dans la légalité. Le club tient une liste noire de supporters jugés indésirables alors que le Conseil d’État avait suspendu l’application de ce fichier. Mais cette loi va faire l’affaire de tous les autres clubs français…
Le but est donc officiellement de lutter contre le hooliganisme. Mais quand on voit le faible pourcentage de violence dans les stades de nos jours, tout cela fait sourire. Selon moi, l’enjeu est tout autre…
Une dérive inévitable du texte de loi
Pour résumer, grâce à la loi Larrivé, un club va pouvoir refuser arbitrairement l’accès au stade à un supporter quelle qu’en soit la raison ! La soit disant lutte contre la violence dans les stades a bon dos. Je vais prendre comme exemple l’actuelle saison olympienne. Avec cette nouvelle loi, même si aucune violence n’a été constatée, les dirigeants du club pourront faire interdire un supporter anti-direction qui prend la liberté de simplement chanter un « Labrune démission ».
Qui pourra empêcher cela puisque le club se sert d’un texte de loi ? Pas de jugement, pas de morale, pas de possibilité de défense. Les stades de demain seront des terres de dictature où la majorité des clubs et la LFP pourront s’unir pour nettoyer les tribunes et y placer de gentils consommateurs non contestataires qui les laisseront manger tranquillement entre amis.
Qui est Guillaume Larrivé ?
L’auteur de cette magnifique loi est donc Guillaume Larrivé, actuel député de la 1ère circonscription de l’Yonne, l’un de porte-paroles du parti « Les Républicains » à l’Assemblée Nationale. On pourrait croire que c’est un grand habitué des stades de football. Mais non… C’est surtout un gentil soldat qui œuvre depuis quelques années pour anéantir le « mouvement ultra » en France.
Guillaume Larrivé a été conseiller au cabinet de Nicolas Sarkozy alors Ministre de l’Intérieur de 2005 à 2007. Il a été ensuite directeur adjoint du cabinet de Brice Hortefeux de 2007 à 2011, donc en poste avec lui au Ministère de l’Intérieur en 2009. Pour rappel, comme indiqué dans une de mes chroniques « Répression contre les Ultras et manipulations politiques », c’est sous Brice Hortefeux que l’idée de créer une police anti-hooligans est née (septembre 2009) ; c’est sous Brice Hortefeux que les incidents dans les rues de Marseille, voulus par les autorités selon moi, ont éclaté entre supporters phocéens et parisiens (octobre 2009) ; c’est sous Brice Hortefeux que la DNLH est officiellement créée avec à sa tête le commissaire Antoine Boutonnet (novembre 2009)…
Cette loi souhaitée par le député Guillaume Larrivé est donc tout sauf un hasard…
L’avenir des tribunes est sombre
Cette loi couplée à la politique appliquée depuis plusieurs saisons contre les supporters me rend très pessimiste. Même en cas de bonne conduite générale des associations de supporters, même avec l’ouverture du dialogue dans chaque club et avec les autorités, la moindre excuse servira de prétexte pour un endurcissement de la répression. Les clubs se cachent derrière toutes ces décisions et font mine de ne plus peser face à la LFP et les pouvoirs publics. L’Olympique de Marseille est rentré dans cette logique, surtout par temps de crise sportive avec des virages en colère.
Il fut un temps, l’OM défiait les instances pour défendre ses supporters.
Le plus bel exemple est l’envoi des « minots » au Parc des Princes pour affronter le PSG en mars 2006. Il était simplement question, à l’époque, d’un quota de places en parcage non respecté.
Il y a dix ans, l’OM et ses supporters marchaient main dans la main pour défendre leurs intérêts face à cette France du football.
Dix ans plus tard, l’OM et cette France du football marchent main dans la main pour détruire les supporters.
Matthieu Franceschi