Le visionnage de la dernière vidéo de Didier Roustan, « Mais où va l’OM ? », nous a donné envie de contacter le plus atypique des journalistes sportifs français pour continuer à explorer le sujet avec lui. Au milieu de son actualité débordante (Europe 1, La Chaîne L’Équipe, Roustan TV), il a pris le temps de nous répondre et de préciser sa pensée sur ce qu’il manque à ce nouvel OM. Interview.
« Il a besoin de vibrer, ce public-là. Gagner, ça ne suffira pas. »
Salut Didier, ce qui nous a marqué en visionnant ta dernière vidéo c’est que tu parlais d’ OM et d’émotions. Une association qui n’a plus trop cours ces derniers temps lorsque l’on parle de l’OM. Les mots qui reviennent sont plutôt « projet », « budget », « mercato », « résultats » mais plus trop « émotions ». L’émotion finalement ce n’est pas ça qui manque principalement à cet OM ?
D. Roustan : « Ben oui, c’est sûr et c’est même assez étonnant lorsque l’on connait le public marseillais qui a vécu de grandes heures et qui connait le football de ne pas appuyer là dessus. Il a besoin de vibrer, ce public-là. Gagner, ça ne suffira pas. C’est vrai qu’on a plus l’impression d’être dans du business et que ce business va amener les résultats.
Je ne connais pas Jacques-Henri Eyraud mais lorsqu’il dit « l’OM est une entreprise comme une autre donc ça se dirige comme tel« … S’il part de ce principe là, il a tout faux dès le départ. »
Il a la chance de débuter son aventure sur les bases d’une autre émotion qui est très forte : l’espoir. L’espoir des marseillais de revoir un club conquérant parce que les nouveaux dirigeants arrivent après une période très difficile….
D. Roustan : « Oui, oui, ils arrivent à un bon moment. Mais si tu dis, et ça veut dire que tu le penses, que « l’OM est une entreprise comme les autres et elle sera dirigée comme les autres« , encore une fois à mon avis, tu fais fausse route. »
C’est pourtant au centre du projet ce principe…
D. Roustan : « Ok, mais le football c’est pas une entreprise, encore moins à l’OM. »
Ça va peut-être paraître un peu simpliste comme remarque mais même sur ce mercato, plutôt bien mené avec des joueurs qui répondent à des besoins ciblés, on a pas d’émotions, pas de joueurs frissons, de Lucho Gonzalez…
D. Roustan : « Mais je crois tout simplement qu’il y a là un manque de connaissance du football là dessus mais aussi de l’environnement. C’est pas grave si Eyraud, il gère les finances, et qu’à coté de ça t’as un gars qui gère le foot.
Parce que finalement c’est Jacques-Henri Eyraud qu’on entend le plus souvent. Forcément quand t’es le président de l’OM, t’es pas le président d’Amiens, on t’entend plus. Mais celui qu’on devrait entendre le plus, c’est l’entraîneur, c’est Garcia. Finalement, on ne l’entend pas trop dans le projet. Même si il nous a amené pas mal de joueurs qu’il connait déjà.
C’est normal de prendre des joueurs qui sont dans le profil qu’il aime mais je ne sais pas… Parce que finalement ce qu’il dégage de l’extérieur, c’est une certaine froideur. Il faut de la folie à l’OM , des joueurs un peu différents. Ou alors que l’entraîneur soit différent comme Bielsa. Le drame c’est que l’OM a loupé le coche (c’est le cas de le dire) lorsque les dirigeants précédents ont tout fait pour faire partir Bielsa.
Jacques-Henri Eyraud parait peut-être un peu flegmatique, pince sans rire… mais ça c’est pas grave ! En général dans ces régions-là on préfère quelqu’un d’un peu plus chaleureux, certes, mais c’est pas grave. Bielsa aussi était quelqu’un de timide, réservé mais il savait de quoi il parlait et il avait un charisme. Et son équipe était spectaculaire. Là pour l’instant, l’OM est plus parti pour jouer la troisième, quatrième place que le titre de champion.
Mais c’est pas la troisième ou quatrième place la chose la plus importante, mais plutôt qu’il se passe des choses lorsque l’on va au stade. L’an dernier t’as quand même eu quelques matches contre Nice, Saint-Étienne qui ont entretenu un peu cet espoir mais là.. »
« Je pense que Garcia n’a pas le charisme ou le truc qui fait que tu le suis quoi qu’il arrive »
On a l’impression que lorsque Garcia arrive, il part quand même avec des ambitions, une vraie volonté puis il y a deux trois fessées contre Paris et Monaco en Février dernier et depuis, il est rentré dans la gestion plus qu’autre chose. Est-ce que t’as eu le même sentiment ?
D. Roustan : « Ça dépend parce qu’après le 1-5 (contre Paris), il y a quand même eu des matches spectaculaires contre Nice, Saint-Étienne…
J’ai par contre vraiment pas compris cette tactique suicidaire à Monaco. Si t’y vas et que tu joues avec tes armes, ça peut passer parce que Monaco est moins fort que la saison passée. Je les avais vu à Metz, ils avaient été en difficulté, chez eux contre Toulouse, pareil. Si encore, ils avaient battus Toulouse et Metz 5-0, tu pourrais dire bon mais là…
Mais en mettant une équipe qui a aussi peu d’équilibre, c’était même pas défensif quoi… La preuve, Monaco a eu beaucoup d’occasions. Je pense que Garcia est plus un entraîneur qui va s’adapter aux choses plutôt qu’il ait, lui, des vraies fondamentaux comme peuvent avoir des gros entraîneurs. »
Il essaye quand même. Il veut par exemple toujours repartir de derrière, il reste très attaché au 4-3-3, il met à chaque fois quantité de joueurs offensifs… On a l’impression qu’il essaye mais qu’il ne va pas au bout de ses convictions…
D. Roustan : « Et bien, c’est ça, je pense que justement c’est là où c’est flou comme avec Deschamps, c’est que je les vois pas trop ces convictions. Et donc pour les joueurs, ça doit être difficile aussi parce qu’un coup c’est comme-ci, un coup c’est comme-ça…
C’est pas le tout de repartir de derrière proprement. C’est pas ça qui te fait un schéma de jeu ou une identité de jeu. En plus repartir de derrière avec les défenseurs que t’as…
Outre les discours d’Eyraud qui peuvent parfois mal passer, je pense que Garcia n’a pas le charisme ou le truc qui fait que tu le suis quoi qu’il arrive. Puis il y a la relation Garcia/Zubi… Si tu prends un Zubizarreta juste pour travailler en profondeur, relancer le centre de formation, faire des partenariats avec l’Afrique, les clubs locaux… Tout ça c’est bien gentil mais il y a des clubs où tout doit partir de la base et il y a des clubs où tout doit partir du haut et ça descend. Je pense qu’un club comme l’OM, il faut d’abord regarder l’équipe première puis la profondeur. J’ai l’impression qu’ils font le truc un peu à l’envers. »
Ce que tu racontes, ça fait un peu penser au FC Nantes qui est un club où, historiquement, ça partait de la base pour aller vers le haut puis Kita a un peu inversé le truc. Tu penses qu’on est dans ce genre de schéma-là à l’OM mais dans l’autre sens ?
D.Roustan : « Oui à l’OM, la base on s’en fout un peu. C’est bien d’avoir de bonnes conditions de travail mais si les mecs sont dans des Ageco, qu’ils sont performants comme l’était l’OM de Tapie, y’avait pas de problèmes non plus. C’était ça le plus important.
C’est dommage qu’avec l’OM de Tapie, qui a eu des résultats dans la durée, on ait pas fait des choses au niveau du centre de formation, des scouts, des partenariats… C’est ça qui est dommage ! Mais si ça n’a pas été fait, même par la suite, c’est parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont mangé sur la bête, qui n’ont pas toujours fait des choses cohérentes. Là, on peut supposer qu’avec Frank Mc Court, Eyraud, il ne va pas y avoir de magouilles au détriment du club. Mais quoi qu’il en soit c’est toujours des résultats, des performances et de la qualité de ce qu’il se fait en haut que pourront rejaillir des trucs sur le bas.
D’où l’importance d’une bonne relation Garcia/Zubi… »
Bon, le club assure que les deux s’entendent comme larrons en foire. Je voulais revenir avec toi sur le choix des mots à Marseille. Parce que début Juillet, JHE donne une interview à France Football dans laquelle il dit : « Vous auriez préféré que l’on appelle ça le « Challengers Project ? » Autour de nous, on entend souvent dire « ben oui à Marseille, ça ne serait pas passé. » Mais sincèrement en connaissant un peu les marseillais, on ne pouvait pas vendre un « Challenger Project » ? Ça ne serait pas passé ?
D.Roustan : « Je pense qu’il y a eu une erreur de communication en parlant « Champions Project ». Parce qu’en mettant 200 millions… C’est pas impossible d’être champion mais c’est très dur ! Regarde Nice l’an dernier à quatre journées de la fin, ils étaient encore dans le coup.
Après le mot « Champion » à Marseille, forcément… »
D’ailleurs toi qui a un peu bossé aux USA, récemment JHE a expliqué en conférence de presse que certaines déclarations de Mc Court avaient étés mal interprétées à cause d’un décalage culturel. Que les américains ont tendance naturellement à viser plus haut…
D.Roustan : « Oui, c’est vrai qu’ils sont un peu plus dans la démesure… Mais je pense quand même que Jacques-Henri Eyraud a dû donner son aval au titre OM Champions Project…
Mais bon c’est un détail, ça. On peut vite l’oublier si les résultats reviennent. Il faut serrer les dents, faire le dos rond…
L’OM Champions Project c’est quelque chose de facile pour les journalistes pour s’amuser un peu et titiller mais il ne faut pas que les gens s’arrêtent à ça. C’est un slogan qui tombe mal, c’est tout.
Au bout d’un an, ils ne peuvent pas changer le slogan, il est comme ça, il est comme ça.
Mais il faut changer, à mon avis, la manière de faire par rapport à l’environnement, il faut qu’il y ait des équipes spectaculaires.
Même Garcia… Le marseillais, c’est quelqu’un d’orgueilleux qui a sa fierté, l’OM, ça représente tout.. Si tu passes ton temps, toi, à être toujours dans une position de faiblesse, à pleurer après les décisions de l’arbitre, à toujours être avec le quatrième arbitre, de dire en après-match « oui mais l’arbitre machin.. » ben ça fait chier les gens.
Surtout quand t’as connu Bielsa, pourtant ils se sont un peu fait entuber sur certaines choses cette saison-là. Et toutes ces choses-là, je trouve qu’ils devraient y faire plus attention. »
Au final t’es optimiste sur la saison à venir ? Tu les vois à quelle hauteur ? Trois, quatre, c’est ça ?
D. Roustan : « Je suis ni pessimiste ni optimiste. Je pense que la chance de l’OM c’est que les autres équipes sont prenables, hormis PSG, Monaco et Lyon dans une certaine mesure. On voit que Nice va avoir des difficultés, Saint-Étienne pour jouer les trois, quatre premières places… Peut-être pas si loin mais j’y crois pas.
Je crois que s’ils font bien leur taf, ils peuvent terminer troisième ou quatrième. Mais s’ils le font mal… Comme on est déjà sur des charbons ardents si ça tourne mal contre Rennes, ça plombe tout et après tout s’enchaîne. Ils sont quand même sur le fil du rasoir et ils ne devraient pas l’être avec les joueurs qu’ils ont. Ils le sont parce qu’ils ont déconné, la composition d’équipe contre Monaco… Et puis même au delà de Monaco, Angers c’était pas terrible, contre Dijon, il n’y avait que la seconde mi-temps… »
Mais on nous a rétorqué qu’il y avait des résultats donc que ce n’était pas grave…
D. Roustan : « Oui mais voilà ça aussi c’est la pire des conneries. La Ligue Europa, c’était quand même contre une équipe niveau national. Alors en coupe de France, contre une équipe de niveau National, tu peux en chier mais le soir de la qualification, tu ne fais pas le barbot en disant : « quand je vois les chiffres, on joue mal mais on gagne« … Tu peux le dire dans certains clubs mais pas à l’OM !
Je pense qu’il devrait y avoir un régional de l’étape qui connait bien l’environnement marseillais aux cotés de Garcia, Eyraud et Zubi. Mais un gars à l’esprit sain qui va dans l’intérêt du club. C’est pas évident aussi de débarquer dans un tel environnement de comprendre toutes les sensibilités et d’anticiper sur les réactions des gens. Et je trouve qu’il y a eu par rapport à ça, beaucoup de ratés.
Mais rien n’est perdu, ils peuvent encore s’en relever et je leur souhaite. »
Tous propos recueillis par Mourad Aerts