Il nous est apparu être l’interlocuteur privilégié pour parler des possibilités de développement de recettes billetterie pour l’OM dans le cadre de notre dossier spécial Vélodrome. Interview.
Nous voudrions tout d’abord vous soumettre cette clause présente dans le contrat de PPP sur la rénovation du Vélodrome.
Quelle est en votre lecture ?
Ch. Lepetit : « Je pense qu’elle est intéressante dans sa philosophie dans le sens où plutôt que d’avoir un ménage à trois stricto-sensu, comme on l’a dans divers types de contrats de partenariat, avoir une clause comme celle-ci permettrait d’intéresser et de nouer des relations disons plus positives. Ou au moins d’inciter les différentes parties à avoir des relations plus positives.
Puisque le club serait directement actionnaire de la société en l’occurrence ici, AREMA. Et puis il y aurait des incitations à ce que le club « performe » sur la commercialisation de ses espaces lorsqu’il utilise le stade et également à ce qu’il y ait un stade occupé et qui vive 365 jours dans l’année en dehors des matchs de l’Olympique de Marseille.
Cela permettrait d’éviter d’avoir la ville de Marseille qui défende ses intérêts, le club qui défende lui-même ses intérêts et la société commerciale qui défende elle-même ses intérêts. Des intérêts des trois cotés qui ne sont pas forcément convergents voire qui peuvent même être complètement divergents assez souvent.
Sur la philosophie générale de la clause, c’est quand même assez intéressant après sur la mise en œuvre c’est très certainement assez complexe et ça explique sans doute le fait que ce n’ait pas abouti. Puisque il faut que chacun cède ou concède des droits à l’autre et c’est vrai que du coup je pense que le club n’a visiblement pas souhaité que la société soit partie prenante de son propre modèle économique. »
« Je pense que l’entrée de McCourt à l’OM, elle est quand même liée au fait qu’il ait envie de faire un peu de business. »
Ce serait la cession de ces droits qui serait un frein pour l’OM ?
Ch. Lepetit : « Je ne sais pas si c’est l’unique problème, seuls les acteurs du dossier doivent le savoir. Mais ce que l’on voit c’est qu’effectivement l’OM aurait pu être actionnaire d’AREMA à hauteur de 30%.
Il y aurait eu contrat de commercialisation entre le partenaire et le club, co-exploitants du stade. Donc avec un pourcentage de 10% du chiffre d’affaires concerné de l’OM par l’activité d’exploitation du stade qui serait reversé à AREMA.
C’est quelque part beaucoup plus fortement lier les différentes parties. Et ça c’est bien parce que c’est le problème de base du PPP : on a des gens qui ne se connaissent pas et qui ne connaissent pas les secteurs d’activité des uns des autres.
Les PPP globalement ce sont des « BTPistes », des gens qui font du béton et qui ne sont pas forcément très au fait des us et coutumes qui ont trait dans le football professionnel. De l’autre coté, on a des clubs professionnels qui eux-mêmes sont des entreprises de spectacles sportifs et qui ne sont pas toujours ultra rationnelles d’un point de vue économique. Surtout quand on leur dit qu’il faut investir dans des infrastructures plutôt que dans des joueurs.
On a des mondes très différents très hétérogènes qu’on a essayé visiblement de rapprocher par l’insertion de cette clause mais sans que ça aille au bout. Ce qui effectivement peut apparaître comme dommageable parce qu’on aurait peut-être pu avoir une concertation un peu plus grande sur le choix de tel ou tel coloris de matériaux, l’assimilation du stade un peu plus forte à l’Olympique de Marseille et surtout on aurait eu finalement des liens plus positifs qui auraient pu inciter les gens à avoir des relations gagnant-gagnant et pas des relations plutôt conflictuelles comme c’est le cas dans à peu près tous les PPP de France. »
On peut aussi penser qu’une entrée dans AREMA pourrait représenté pour Frank McCourt une belle opportunité d’intégrer le marché de l’immobilier à Marseille et d’enclencher une synergie avec ses autres activités ?
Ch. Lepetit : « Je pense que cet américain n’est pas à l’OM pour perdre de l’argent même si il est peut-être, c’est vrai, passionné de sport. Ça n’enlève rien à sa passion, entendons nous bien, mais j’ai l’impression qu’il est plutôt businessman.
Je pense que son entrée à l’OM, elle est quand même liée au fait qu’il ait envie de faire un peu de business. Et on voit bien aujourd’hui que la possession de l’OM ne permet pas de gagner beaucoup d’argent. Ça permet surtout de beaucoup en perdre.
A moins qu’il y ait une stratégie complètement revisitée qui consisterait à faire ce que fait Monaco, c’est à dire du commerce de joueurs. Mais ça n’a pas l’air d’être du tout la stratégie.
Aujourd’hui pour gagner de l’argent avec l’OM, il faudrait très clairement posséder le Stade Vélodrome et être beaucoup plus maître de son exploitation. A mon avis McCourt soit il veut acquérir le Vélodrome ou en tout cas être titulaire des droits d’exploitation du Stade. Soit effectivement c’est par le biais de sa carte de visite de président de l’OM qu’il va souhaiter demain s’ouvrir des portes sur tout le milieu marseillais. »
« AREMA est peut-être content que l’OM ne se qualifie pas pour une coupe d’Europe parce que ça lui libère des dates »
Sortons de cette situation hypothétique d’une entrée de l’OM dans le capital d’AREMA pour revenir à la situation actuelle d’un club locataire à travers la Mairie d’un stade exploité par une tierce partie. Quel en est votre lecture et quelles sont selon vous les possibilités d’évolution à court terme ?
Ch. Lepetit : « Aujourd’hui on a clairement un PPP classique avec trois acteurs qui défendent leurs intérêts. C’est assez dommageable pour l’ensemble de l’écosystème autour du stade parce qu’on a pas d’intéressement mutuel.
AREMA n’est pas intéressé forcément au fait que le club génère des revenus et développe son activité dans le stade. L’inverse est vrai, l’OM n’est pas intéressé par ce qu’AREMA peut développer dans le stade.Voire même il peut y avoir des phénomènes de concurrence.
Aujourd’hui je pense qu’AREMA est peut-être content que l’OM ne se qualifie pas pour une coupe d’Europe parce que ça lui libère des dates. On a vraiment un système de cohabitation de plusieurs entités qui n’ont pas les mêmes intérêts. Ce qui est bien dommage.
Pour moi, on aura pas d’évolution à court terme sur ce contrat-là. Il faut peut-être voir si, à l’avenir, le rachat du club par McCourt et ses équipes peut les pousser à utiliser les nouvelles dispositions de la loi Braillard par exemple pour essayer de s’investir un peu plus sur l’exploitation du Stade Vélodrome. Même si bien sûr le contrat est signé sur une durée longue. Si l’on veut en sortir, il faudra bien indemniser les différentes parties. »
Loi Braillard : « La loi Braillard prévoit que l’on essaye de faciliter l’accès à la propriété ou à l’exploitation des enceintes sportives pour les clubs professionnels. Notamment par le biais du fait que les collectivités territoriales puisent accorder des garanties d’emprunt aux clubs qui souhaiteraient investir. Ce mécanisme là, il peut demain faciliter le rachat de droits d’exploitations puisque ce qui pose très souvent problème aux clubs français, c’est d’avoir accès aux marchés financiers pour se financer. »
Qu’est-ce que l’OM n’a pas avec ce contrat qu’ont ses concurrents nationaux voir continentaux ?
Ch. Lepetit : « Dans le contrat tel qu’il existe aujourd’hui, l’OM arrive à H-quelque chose avant l’heure du match et en repart rapidement après. L’OM n’exploite pas du tout le stade en dehors de ces jours de matches. Or, on sait que ce qui permet justement de dégager des revenus supplémentaires, c’est de développer une activité BtoB(business to business), BtoC(business to customer), d’organiser des concerts, de louer vos loges pour des séminaires, etc.
Ce que fait assez bien l’équipe du Matmut Atlantique à Bordeaux. Ce que veut également faire Jean-Michel Aulas : beaucoup de BtoB autour des matches, manger sur place, dormir sur place. Aujourd’hui, l’Olympique de Marseille n’est pas en mesure de fournir ce genre de prestations. L’OM ne peut que vendre de la prestation sur ses rencontres à domicile, vendre de la loge, des sièges à prestations..Mais il ne peut rien faire d’autre en dehors de ça. C’est sûr que sans révision de ce contrat-là…
Une révision qui pourrait prendre la forme d’une négociation entre AREMA et l’OM pour entrer dans son actionnariat ou de mettre fin au contrat de PPP, par exemple. Mais mettre fin à un contrat de PPP, ça nécessite d’indemniser les parties au contrat… Ces deux options changeraient le modèle et permettrait à l’OM de devenir exploitant voire propriétaire du stade même si ça ne semble pas du tout la tendance pour le moment. »
« Aulas parle souvent d’un stade qui lui générerait en vitesse de croisière 70 à 80M€ de chiffres d’affaires supplémentaires par an. »
Ça coûterait aussi immensément cher à l’OM de mettre fin au contrat de PPP, non ?
Ch. Lepetit : « Ça coûterait cher à la ville dans un premier temps parce que c’est la ville qui a conclu le contrat avec AREMA ! Si on devait mettre fin au contrat, c’est la Ville qui devrait indemniser AREMA. Et ensuite la Ville re-concéderait les droits d’exploitations à l’OM mais très certainement qu’elle ferait supporter une partie de ces coûts au club.
Ça coûterait donc relativement cher à l’OM, oui. La ville n’était pas du tout favorable à la cession du Stade il y a quelques temps, j’imagine mal Jean-Claude Gaudin avoir changé d’avis. Il est très attaché au fait que le Stade reste dans le patrimoine municipal. Dans ces conditions là, on irait pas vers une cession du stade mais plus potentiellement vers un rachat des droits d’exploitation à la société AREMA par la ville pour ensuite une nouvelle cession à l’OM avec un montant potentiellement élevée.
Alors certes ce serait des charges importantes mais avec potentiellement aussi des revenus qui viennent en face. C’est là qu’il faudrait faire une équation et savoir combien l’OM dans une situation comme celle-ci serait capable de générer comme revenus additionnels.
Aulas parle souvent d’un stade qui lui générerait en vitesse de croisière 70 à 80M€ de chiffres d’affaires supplémentaires par an. Donc est-ce que Marseille aurait la capacité de générer autant ? Je ne sais pas, je ne pense pas. Mais si on a un coût de 20, 30M€/an et qu’en face vous avez des revenus de 30, 35, 40M€, in fine, l’impact net du nouveau stade, il reste positif. Alors qu’aujourd’hui l’impact net du Stade Vélodrome dans les comptes du club, s’il n’est pas négatif, reste très proche de zéro. »
Quels sont les autres leviers que l’OM peut actionner pour augmenter ses recettes rapidement ? Les droits TV à l’étranger ?
Ch. Lepetit : « Sur la partie droits TV, le club n’a aucune marge de manœuvre parce qu’ils sont signés en France jusqu’en 2020 pour les droits domestiques et sur les droits à l’international, la Ligue les a cédés avec un minimum garanti pour Al Jazeera Sports(BeIn) qui commercialise partout dans le Monde.
Et là aussi, les clubs n’ont pas la propriété et ne peuvent pas commercialiser leurs droits TV. Sur le montant des droits TV, il n’y a pas grand chose à attendre. Le seul effet positif ce serait de se qualifier cette année pour l’Europa League puis l’année d’après pour la Ligue des Champions parce que là, en effet, on sait que les subsides qui reviennent de l’UEFA sont extrêmement conséquents.
Mais ça c’est par nature volatile et vous ne maîtrisez absolument pas. Pour moi, le club doit surtout essayer de jouer sur ses revenus commerciaux et revenus stades.
Il faut faire revenir les gens au Vélodrome que ce soit le grand public ou les entreprises qui achètent des places à prestations.
Il y a pour ça l’aspect sportif, mais on sait comment ça fonctionne à l’OM : il faut surtout une équipe qui donne du plaisir aux gens ! Ce que je retiens de l’année Bielsa, c’est que le public du Vélodrome veut une équipe qui produise du spectacle. Cette année-là, ils finissent quatrième. Le résultat sportif n’est pas très bon, ils ne sont pas qualifiés pour la Ligue des Champions. Mais le Vélodrome est rempli toute l’année et les gens finissent la saison en ayant vu du spectacle, en ayant pris du plaisir. Ce qu’il faut que les dirigeants fassent c’est bien sûr construire une équipe qui soit potentiellement compétitive en haut de tableau mais aussi qui fasse du spectacle.
Avoir des gens comme McCourt et Eyraud, c’est positif parce qu’ils maîtrisent bien ces éléments là, il faut améliorer la fameuse expérience du fan. Je pense que le spectacle sportif, un américain sait ce que c’est !
Se servir du Vélodrome autant que possible dans le cadre du contrat qui existe. Essayer de déconnecter un peu le résultat sportif de l’affluence au stade.
Il faut que le club génère vraiment des recettes supplémentaires sur cette partie-là, ce qui implique d’investir aussi. »
Tous propos recueillis par Mourad Aerts